Depuis quelques décennies, la notion de risque prend de plus en plus d’importance dans la conscience commune. Risque nucléaire, risque technologique, industriel, risque sanitaire ou biologique, balisent l’émergence et le développement de nouvelles grandes peurs collectives autour de la santé, de l’environnement, du devenir même de l’Homme.
La perception par l’opinion de ces risques peut en effet provoquer de fortes réactions collectives. Or, les risques « sociétaux » ne recouvrent pas nécessairement le périmètre des risques qui en sont la source. Il existe, le plus souvent, un écart entre leur gravité telle qu’établie par les experts et reconnue par les autorités publiques, et leur résonance dans l’opinion. Face à la crainte d’une catastrophe – accident industriel, contamination, épidémie –, voire face à un danger supposé, mal identifié, perçu comme caché, mais probable, la réaction peut être excessive.
Cette subjectivité de la perception des risques est bien souvent accentuée par le rôle joué par les réseaux sociaux dans la propagation des rumeurs et d’inquiétantes incertitudes. Et la médiatisation d’éventuels désaccords et controverses scientifiques entre experts, au langage mal compris, et dont la prudence est mal interprétée, nuit à la compréhension par le grand public des véritables enjeux.
L’imaginaire collectif rend entreprises et administrations responsables des souffrances de la société : accidents sanitaires, industriels, pollutions, catastrophes naturelles voire… Complications de la vie quotidienne.
À côté de ces réactions subjectives et imprévisibles de l’opinion publique on constate une attente sociétale plus « responsable » de consommateurs – « consom’acteurs » –, de citoyens, qui, sensibles aux risques multiples et multiformes pouvant avoir des conséquences sur la santé, l’environnement ou la qualité de vie, se révèlent soucieux d’informations objectives.
En encourageant le débat public, on peut leur permettre de jouer, comme les entreprises, les administrations et les autorités publiques, un vrai rôle dans la prévention et la maîtrise du risque sociétal. Une communication claire, précise, « pédagogique », l’éducation citoyenne, la médiation, en sont des facteurs clé. Des organismes indépendants ont d’ailleurs été créés pour éviter toute collusion d’intérêt entre l’évaluation et la gestion de tels risques (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, Institut national de veille sanitaire – INVS).
La dimension sociétale – composante du développement durable –, est reconnue comme essentielle depuis la Déclaration de Stockholm (1972) puis de Rio (1992), dont les principes ont été réaffirmés en 1998 dans le cadre du Projets des Nations Unies pour le Développement (PNUD) : « Le droit au développement doit être respecté en préconisant (…) une stratégie qui place les personnes au centre de toutes les activités de développement ».
La même année, la convention Aarhus sur l’accès à l’information et la participation du public au processus décisionnel énonce que « chacun a le droit de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être ». De même, en France, la révision institutionnelle de 2004 proclame le « droit de chacun à vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé ». La norme NF ISO 26000, dite de « responsabilité sociétale » – responsabilité face à la société – entrée en vigueur en France en 2010, vise à encadrer la gouvernance des organisations par une responsabilisation face aux risques sociétaux. L’Afnor définit cette responsabilité sociétale comme étant : « La responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et de ses activités sur la société et sur l’environnement, se traduisant par un comportement transparent et éthique ».
Aujourd’hui, les administrations et les entreprises, notamment les plus grandes, tout particulièrement celles qui ont en charge un service public, doivent intégrer dans leurs stratégies cette dimension sociétale du risque, qui associe la solidarité à la responsabilité.
Afin de mieux prévenir et maîtriser les risques sociétaux, il leur faut mettre en place ou développer des outils d’analyse de l’environnement et détecter, le plus en amont possible, les mouvements et tendances susceptibles de générer ceux qui sont « non acceptables » par l’opinion publique. Il leur faut anticiper les évolutions de la société et la capacité d’acceptation, par les citoyens, les utilisateurs, les administrés, les consommateurs, des décisions et des projets susceptibles d’induire des risques, il leur faut prendre en compte la dimension culturelle qui influe sur ce degré d’acceptation.
Cette capacité d’innovation sociétale, véritable source de prospérité, de croissance, de compétitivité et de performance permet aux entreprises et administrations de s’inscrire dans une stratégie de développement durable incluant les enjeux liés au bien commun.
Sylvie Lainé, Déléguée générale de la Fondation nationale Entreprise et Performance (FNEP) a écrit cet article en s’appuyant sur le thème de l’étude confiée à la mission FNEP 2013 : prévention et maîtrise des risques sociétaux : une dimension de la performance. Ses propositions seront éditées par la documentation française en septembre 2014.