Développer la participation des citoyens aux décisions publiques (Nathalie Lemaitre, Mission 2013)

Quelle place pour le citoyen dans les décisions publiques en France ? Telle est la question que se sont posés les participants au colloque organisé récemment sur ce thème par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP). Des voyages d’études réalisés notamment au Québec, en Allemagne, et en Italie nous ont permis de rapporter quelques expériences étrangères sur le sujet.

Le constat est partagé par tous : les citoyens sont dans une écrasante majorité demandeurs que les pouvoirs publics prennent davantage en compte leurs avis dans l’élaboration des décisions. Et pourtant, ils sont de plus en plus méfiants envers les processus institutionnels mis en place, et n’y participent que dans une faible proportion. Plusieurs raisons à cette frilosité. Le sentiment domine que le débat public arrive trop tard par rapport à une décision déjà prise, ou qu’il n’aura pas d’effet sur la décision. Qu’au travers de l’organisation des débats publics on cherche plus à informer et à faire accepter une décision, qu’à la confronter à l’avis des citoyens, à la remettre en question, voire à en reconsidérer l’opportunité.
Déjà bien occupés par leurs vies familiale, professionnelle et sociale, les citoyens n’ont guère envie de prendre sur leur temps pour faire ce qu’ils considèrent être de la figuration. Ce qui parait à première vue un paradoxe – une demande forte de participation, mais peu de passages à l’acte – trouverait donc son explication dans l’insuffisance de sens et de suites donnés aux processus de participation.

Il revient donc aux décideurs de donner envie aux citoyens de s’impliquer et de débattre : le fond comme les formes de la participation peuvent y contribuer.

Renforcer le lien entre débat public et décision pour donner du sens

Une des premières réponses – qui semble évidente ! – est de positionner le débat public bien en amont de la décision, de façon à ce que plusieurs options soient encore ouvertes, et qu’il soit encore possible d’en examiner ou co-construire de nouvelles. Cela implique d’une part, que les décideurs (autorités publiques ou maitres d’ouvrage privés) acceptent d’organiser un débat sur le sujet, et d’autre part, qu’ils aient la volonté politique de tenir réellement compte des résultats qui en émergent pour élaborer leur décision.

L’ Institut du Nouveau Monde ( INM ), une association québécoise spécialiste de l’ingénierie du débat public qui promeut depuis dix ans la démarche participative, travaille avec les décideurs politiques pour identifier en amont les sujets sur lesquels ils auraient besoin d’un éclairage. Une fois cette identification faite, et la garantie que la démarche de participation débouchera sur des décisions et des actions concrètes, l’ INM propose des méthodes adaptées à chaque situation, prenant notamment en considération les éléments culturels ou historiques. La neutralité de cette association est un facteur qui contribue à renforcer sa légitimité dans l’organisation de processus de participation, et lui permet de conclure les débats par la formulation de propositions concrètes aux décideurs.

La possibilité de formuler un avis, c’est également une des principales différences entre la CNDP et le Bureau d’Audiences Publiques pour l’Environnement ( BAPE ) au Québec dont elle est inspirée : ce dernier a en effet le pouvoir, à l’issue d’un processus de consultation, de faire part au ministère de son analyse et de ses recommandations, alors qu’en France les commissions du débat public n’ont pas vocation à se prononcer sur le fond des projets qui leur sont soumis.

Donner de la légitimité au débat, c’est ce qui peut motiver les citoyens à y participer. Et pour cela il est indispensable que :
– l’objectif assigné au processus participatif dans le mécanisme de décision soit clairement énoncé dès le début : présenter une synthèse des débats, ou aller jusqu’à faire des recommandations au décideur ;
– le débat soit animé par un tiers autonome, garant de la qualité et de la neutralité du débat, et chargé de s’assurer que les décideurs prennent en considération les conclusions du débat ;
– les décideurs fassent un retour explicite aux participants (et de manière générale à la société tout entière) sur la façon dont le processus de participation a influé sur la décision, et en quoi celle-ci a ou n’a pas été infléchie.

Oser les débats sur les politiques publiques pour intéresser les citoyens

« Pour des décisions aussi difficiles, c’est bien d’intégrer le citoyen dans le débat et que ce ne soit pas une affaire uniquement de spécialistes  »
Une des limites des procédures en vigueur en France réside dans le choix des sujets mis en débat. La saisine de la CNDP demeure limitée à quelques projets ou sujets, majoritairement des projets d’implantation d’infrastructures. Le public est frustré de n’être sollicité « que » sur l’implantation d’un site d’enfouissement des déchets nucléaires, alors qu’il aurait aimé être consulté sur les différentes alternatives en termes de stockage de ces déchets.

De grands enjeux échappent ainsi à la participation citoyenne directe, comme la réforme de l’aménagement du territoire, la réforme de l’administration territoriale de l’ Etat,  la réforme des retraites, la loi sur la famille…, alors que ces décisions affectent directement les citoyens.

Il est pourtant possible d’organiser des débats sur des questions plus larges que des projets particuliers. Dans ce domaine, citons au Danemark, le Danish Board of Technology qui a organisé un débat sur le système de santé, abordant la délicate question des priorités dans le domaine de la médecine. Là encore, la neutralité de cette instance et le fait qu’elle ne soit pas soumise à des échéances électorales, lui permet d’aborder ces questions avec plus de recul, et son expérience montre que sur ces questions pourtant polémiques on peut arriver à la formulation d’avis équilibrés.

Ces débats peuvent être menés à différents niveaux : en Allemagne, la crise de 2009 a poussé certaines communes à impliquer les citoyens dans les réflexions autour des réductions de dépenses, pour gérer avec eux ces changements de cap et éviter le développement d’extrémismes. Des sujets tels que les plans de transports en commun, les réductions budgétaires, ou la construction de mosquées – entre autres – font l’objet de débats participatifs. Et là où ils ont eu lieu, les décisions sont beaucoup mieux comprises et acceptées.
Au Canada, en Islande ou en Irlande, des jurys de citoyens tirés au sort ont été sollicités pour s’exprimer et contribuer à la réforme électorale.

Ces exemples montrent qu’en se fondant sur des informations et des argumentations transparentes, les participants à un débat sont capables de formuler des solutions rationnelles et concrètes pour relever les défis sociétaux qui se posent . Et que des formes de débat très différentes existent pour associer les citoyens aux décisions.

Jouer sur la complémentarité des formes de débat pour élargir la participation

Là aussi le constat est partagé : ce sont toujours les mêmes qui assistent aux débats publics. Le profil des participants aux réunions publiques est très homogène (majoritairement des hommes, jeunes retraités) – on parle même de « citoyens professionnels » –  et les citoyens les moins impliqués dans la vie publique sont rarement mobilisés.

Comment attirer les jeunes, les actifs, les moins favorisés, dans les débats ?

Là encore l’ INM apporte quelques réponses originales en jouant sur la complémentarité des dispositifs : peu de personnes sont disponibles pour participer à des réunions publiques, fussent-elles organisées le soir ou le week-end. L’ INM se rend donc sur les lieux de réunion des populations : squares, associations, lieux de restauration professionnels, …et aborde les sujets via des approches ludiques (valises de jeux, par exemple).

Aventura Urbana, entreprise italienne spécialisée dans la médiation de conflits, est également convaincue que les moyens de communication habituels comme les brochures et réunions publiques ne sont pas les plus adaptés pour faciliter le dialogue et le partage des informations. Elle favorise les réunions en petits comités, le porte-à-porte, ou encore des « réunions d’escalier », organisées sur les lieux d’habitation des citoyens concernés.

Les médias sociaux sont bien évidemment très souvent mis en avant pour favoriser la diffusion d’une information, et toucher les jeunes.  En Italie, la région de Toscane a mis en place des Electronic Town Meeting  ( http://www.regione.toscana.it/-/town-meeting-progettuale-sul-paesaggio-2010 ) pour débattre de sujets comme le plan régional des déchets ou les paysages de Toscane. Cette forme de participation a permis d’augmenter la présence des jeunes dans ces débats. Dans beaucoup de communes, les médias sociaux sont utilisés pour désamorcer les problèmes en donnant de l’information. Ils peuvent également être un vecteur intéressant pour faire de la publicité sur un débat en cours, afin d’éviter que les débats ne se déroulent dans l’ignorance du reste de la population.

Mais la majorité s’accorde à dire que les échanges sur les médias sociaux doivent s’accompagner de moments de rencontre indispensables pour sortir de la juxtaposition des arguments et aller vers de la co-construction de solutions.
Alors, pour achever de convaincre les citoyens de venir débattre ensemble, il n’est pas interdit de mettre de la convivialité dans ces moments de débats organisés !

Ces quelques exemples pris à l’étranger illustrent des approches intéressantes en faveur du développement de la participation des citoyens aux décisions publiques. Le point commun de ces différentes expériences est le constat positif que plus les citoyens participent, plus ils ont envie de participer, et que cette participation change leur rapport aux institutions et crée de la confiance.

« Un débat citoyen, c’est quelque chose de passionnant qui permet de confronter des décisions et, par le dialogue, de parvenir à un avis », témoigne un membre du panel de citoyens de la conférence citoyenne sur Cigéo.

Nathalie LEMAITRE, directrice adjointe du Centre National d’Exploitation du Système au Réseau de Transport d’ Electricité, est membre de la mission 2013 de la FNEP dont le thème d’étude est « Prévention et maîtrise des risques sociétaux, une condition de la performance ». Article écrit à partir de voyages d’étude réalisés dans le cadre de la mission.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

15 + 13 =